CHRONIQUE BOTANIQUE N°58 : LES MAHONIAS AU JARDIN GOURDAINE
Tous ceux qui ont participé à mes jeux botaniques pendant les fêtes EC&J de 2015 à 2022 savent combien j’apprécie le jardin de Gourdaine, d’un côté pour son bel emplacement ensoleillé devant la muraille romaine et sa proximité à la vieille ville, d’un autre côté pour son trésor d’arbustes et de vivaces dans lequel je pouvais puiser pour mettre au point mes grilles de devinettes. Mais ce jardin n’a jamais eu sa chronique ; voilà donc le moment venu. Mais vous allez me dire que c’est trop tôt dans l’année, le jardin n’a pas encore ses belles couleurs. Au contraire, il est toujours coloré, même en hiver quand les feuilles des arbustes persistants, les fruits de nombreuses plantes et les graminées nous réjouissent avec une palette plus pastel. Et je vous ai trouvé même des plantes qui fleurissent depuis décembre et qui continuent à fleurir jusqu’en avril: les mahonias avec leurs bouquets de fleurs jaunes lumineuses diffusant un fort parfum de muguet et donnant avec la multitude de petites clochettes de la nourriture aux bourdons et abeilles. Mais avant de présenter ces arbustes, je dois vous raconter l’histoire de ce jardin qui est vraiment étonnante.
Longtemps la muraille romaine était cachée sur toute la longueur entre le tunnel et l’escalier des Pans de Gorron. Entre la muraille et la Sarthe se dressait Gourdaine, un ancien quartier d’habitation de vieilles maisons plus ou moins délabrées. La municipalité prit alors la décision au début des années 70 de reloger les habitants et d’indemniser les propriétaires, pour ensuite démolir le quartier entier. C’était encore l’époque des 30 glorieuses, le règne de l’automobile, surtout dans la ville des 24 heures ! Une autoroute urbaine devait être construite à la place du quartier disparu. Seulement, il s’est avéré que les travaux commencés devant le rempart allaient causer de grosses perturbations dans l’équilibre de la vieille ville. Un éboulement de la muraille du côté de la rue Saint-Flaceau arrêta net les travaux prévus. Puis il fallut attendre 18 ans ; seulement en 1994, la municipalité décida de créer à l’emplacement libéré devant la muraille un jardin, puis plus loin sous la pente de la rue Delagenière plusieurs parkings entourés d’arbres et de haies pour dégorger le centre ville. Le plan du nouveau jardin prévoyait un découpage du terrain en carrés de plantation, séparés les uns des autres par des allées enherbées ou de sable, rappelant ainsi l’ancienne structure urbaine.
Le conseil municipal décida également que la voie principale de l’ancien quartier, la rue Denfert-Rochereau, serait retracée. Aussi deux derniers souvenirs patrimoniaux, la Fontaine de l’Hôpitau et la fontaine Abel devaient être intégrées dans le jardin. En 2005 la municipalité délibéra sur le nom du jardin …« ce joli nom de Gourdaine serait évocateur de la Cité Plantagenêt ».
Je vous ai promis des mahonias. Tout le monde les connaît mais ils ne sont pas spécialement admirés. A Gourdaine nous en trouvons plusieurs espèces, mahonia aquifolium, originaire de l’Amérique du Nord, puis mahonia japonica et mahonia bealei originaires de l’Asie de l’Est. Il n’est pas impossible que ces derniers aient subi des améliorations horticoles. Les grandes jardineries proposent d’ailleurs une dizaine d’hybridations des espèces asiatiques. Le genre mahonia inclut plus de 70 espèces connues, surtout en Chine et à l’Ouest des USA.
Tous les mahonias ont un air de famille avec pourtant de grandes différences dans leurs formes. Elles font partie de la famille des berberidaceae. La classification phylogénétique a remplacé le nom du genre mahonia par berberis, toutefois sans succès auprès du grand public. Les différences entre une épine vinette et un mahonia semblent trop importantes, à commencer par les épines sur les rameaux des berbéris et totalement absentes chez les mahonias. Pourtant un croisement des deux prouve qu’ils sont du même genre.
Les mahonias sont des arbustes persistants, souvent drageonnant, supportant bien le froid d’hiver, pouvant atteindre une hauteur de 2 à 2,5 m. Les feuilles sont alternes, ce qui veut dire qu’elles sont implantées sur les branches en spirale, chacune à une hauteur différente et non alignée. Les feuilles sont pennées, composées de folioles lancéolées, dentées et épineuses, brillantes et coriaces. Les petites fleurs bisexuées d’un cm de diamètre sont centrées avec six sépales jaunes et six pétales jaunes, six étamines et un ovaire. Les fleurs sont regroupées en grappes dressées ou retombantes.
Les fruits sont des baies, à maturité pruineux, couverts d’une couche naturelle de cire. Après la floraison jaune qui dure très longtemps, ces fruits bleus sont une deuxième décoration. Les baies contiennent une dizaine de graines qui seront semées partout par les oiseaux.
Le mahonia d’origine asiatique est d’une grande beauté. Voici un spécimen de 30 ans, presque un petit arbre à plusieurs troncs, dépassant facilement les 2 m. Le feuillage vert foncé est d’une étonnante densité ; chaque feuille mesurant entre 30 et 40 cm de longueur. En regardant cette masse plus longuement, nous découvrons que ces feuilles luisantes et coriaces sont organisées en bouquets ronds. Ceci est dû à l’implantation alterne des feuilles autour de la tige et ceci extrêmement rapprochée, nous donnant l’impression d’une spirale qui tourne. Le phénomène est accentué encore par des fines tiges qui sortent du milieu de la spirale : des grappes de petits fruits. (Ceci sera beaucoup plus visible en agrandissant la photo et en visant bien une des spirales.)
Les grappes de fleurs du mahonia asiatique sortent au milieu de la spirale de feuilles, en tête du rameau. Elles se structurent également en rond, posées comme sur un plateau. Tout cela est d’une abondance extraordinaire. J’ai compté près de 20 grappes de fleurs d’une longueur de 25 cm pour une seule spirale. Les fleurs ne s’ouvrent pas toutes en même temps ; les petites clochettes fermées forment un contraste délicieux avec celles déjà déployées. Cette plante n’est donc pas seulement intéressante par la précocité de sa floraison dès décembre, mais aussi par l’expression graphique de ses feuilles, fleurs et fruits.
Le mahonia d’origine américaine à feuille de houx peut aussi pousser jusqu’à 2 m de haut si on ne le taille pas. Ses feuilles, aussi coriaces et piquantes que celui du m.japonica, sont beaucoup moins couvrantes, moins rapprochées les unes des autres. La photo d’une branche coupée prouve bien que ses feuilles sont aussi alternes, mais ne produisent pas vraiment l’effet d’une spirale. Les grappes de fleurs sont insérées à l’aisselle des feuilles, sans manquer de place toutefois. Leur forme ressemble plutôt à une petite panicule dressée car plusieurs grappes sont réunies en un bouquet. Nous savons bien plus de choses sur cette espèce. On raconte que les émigrants qui s’installèrent à l’Ouest des Etats Unis, apprirent des indigènes que les baies du mahonia pouvaient servir pour en fabriquer des confitures et même un alcool, en enlevant cependant soigneusement les graines toxiques. Une autre partie toxique de la plante, l’écorce de la racine, servait à préparer des médicaments.
Mahonia aquifolium fut introduit en Europe au début du 19° siècle et est un bon exemple d’une plante étrangère qui s’est totalement naturalisée chez nous, qui s’est même fortement échappée de nos jardins. L’organisation « Tela Botanica » a établi un programme scientifique participatif pour inciter les citadins à observer la flore en ville, intitulé « Sauvage de ma rue ». Concernant le mahonia à feuille de houx, les observations ont été très riches. Dans presque toutes les régions de France, les gens ont trouvé cette plante en ville autour des arbres, un endroit qu’elle apprécie spécialement, mais aussi dans les forêts, les dunes, les terrains vagues. Et ceci est le résultat de graines déplacées par les oiseaux. « La gazette de plantes » en Belgique en fait même une invasive due au changement climatique et donne à son tour des exemples où elle a été trouvée : sur les prairies comme dans les rochers et les bois. Elle aimerait spécialement les terrains calcaires.
Et pour revenir à notre beau jardin de Gourdaine ; j’en ai fait le tour pour voir si le mahonia aquifolium s’était déplacé ici aussi. En effet, on trouve quelques petits spécimens dans d’autres carrés que le sien. Il faut dire qu’il n’est pas la seule plante vagabonde en ces lieux. Il y a également des anémones, fenouils, fougères, monnaie- du- pape, heuchéras, valérianes rouges qui poussent où ils veulent. En avançant dans la saison, nous en trouverons certainement d’autres encore. Les jardiniers de la ville laissent faire la nature et ainsi, après 30 ans, Gourdaine est aussi devenu un « jardin en mouvement « selon les termes chers à Gilles Clément. Je voudrais terminer avec cette photo du mahonia aquifolium qui s’est installé au pied de la haie de callicarpes, juste avant le premier parking. Aucun concepteur de jardin n’aurait eu cette idée. Le plus étonnant est la couleur de ses feuilles d’un violent foncé, presque brun. On a respecté son emplacement.
DEVINETTE 58
Comment s’appellent ces jolies fleurs blanches qui vagabondent aux jardins de Gourdaine ?