CHRONIQUE BOTANIQUE N°59 : LE SQUARE ROBERT TRIGER ET SES PLATANES

Le bastion dissimulé par les platanes

Je cherchais depuis longtemps un parc que je n’ai pas encore visité dans mes chroniques et qui  me permettrait de décrire des platanes. J’ai découvert que le square Robert Triger à l’entrée Nord de la Cité Plantagenêt remplissait tout à fait ces conditions. Comment ai-je pu oublier cet endroit si chargé d’histoire mancelle ? Je commence par une photo sur laquelle le bastion est dissimulé quelque peu par trois beaux platanes aux écorces multicolores. On dirait que les arbres nous voilent un château du Moyen Âge ! En réalité, il s’agit plutôt d’un ouvrage de fortification semi-circulaire, un bastion, construit aux 14° et 15° siècles. Il devait protéger l’entrée  Nord dans la vieille ville, à un endroit où elle était fragilisée. La muraille romaine y était dégradée. En outre la ville se trouvait  ici dominée par un plateau qui rendait le succès facile aux attaquants. Les cinq tours d’origine dont quatre subsistent encore enserraient en leur centre le donjon de Guillaume le Conquérant. C’était une grosse tour de 5 étages et trois ponts- levis. Il servait de refuge aux Manceaux en temps de guerre, mais il était  aussi utilisé comme prison.

 

Les boulets de pierre laissés par les Anglais à la Guerre de Cent Ans

Pendant la Guerre de Cent Ans cependant, en 1425, le bastion n’a pu empêcher la prise du Mans par les Anglais. Nous pouvons encore voir aujourd’hui les armes dont les Anglais  se servaient pour attaquer ce rempart solide et même la Cathédrale toute proche derrière le bastion : d’énormes boulets en pierre furent catapultés contre les fortifications. Les Anglais nous en ont laissé quelques exemplaires qui sont exposés dans le square. - Le donjon appelé aussi château fut démoli au 17 siècle, ses pierres servant de matériaux pour la construction ou la réparation d’autres édifices au Mans. L’archéologue Stéphane Augry, responsable de récentes fouilles, raconte dans une interview avec Ouest France que la fortification était parée de créneaux, à peu près au niveau du parapet actuel, datant du 19°siècle et était munie d’un chemin de ronde. Imaginons qu’on puisse contempler l’ensemble du square par ce chemin de ronde.

 

Un beau chemin de vivaces

Après l’entrée  dans le square par la rue du Château, on se trouve dans un jardin à carrés de vivaces dont la  belle floraison se succède du printemps à l’automne. Au milieu des vivaces un chemin longe la fortification entre les deux premières tours. Côté rue Robert Triger le portillon s’ouvre sur une place couverte de sable, dominée en partie par trois platanes et bordée de gazon et d’arbustes. Je m’installe sur un banc dans le square et contemple ce joli groupe des trois platanes. Ils sont très hauts, peut-être 20 mètres et dépassent ainsi toutes les maisons du quartier et le bastion. Leurs solides troncs s’écartent d’une grosse motte de terre autour de laquelle ils sont plantés ou qu’ils ont pu créer ensemble avec leurs racines ? Les platanes aiment mêler leurs racines ; néanmoins  on peut s’étonner de leur proximité sachant quels immenses arbres ils seront d’ici 100 ans.

 

Les trois platanes autour d’une motte de terre

Ils s’en écartent, ils se penchent vers l’extérieur pour avoir plus de place pour leurs couronnes respectives qui, malgré ces efforts, s’enchevêtrent beaucoup et donnent l’impression d’une seule. La ramification commence seulement à partir d’une hauteur de 5m. Le beau dessin de leur écorce parcourt toutes les branches jusqu’en haut. Surtout au printemps les parties extérieures de l’écorce, les rhytidomes, s’exfolient par petites plaques. Comme ces plaques sont plus ou moins profondes, cela explique les différentes couleurs correspondant à différentes couches du rhytidome. Le résultat nous fait penser à un dessin abstrait. Ce sont des arbres totalement lisses, harmonieusement structurés et propres. Les  feuilles portées par les ramures retombantes créent une belle cloche d’ombre. Il est difficile d’en dire plus, car les feuilles sont inaccessibles et mon observation s’arrête là. Les jardiniers de la ville ont coupé avec tant de zèle des branches plus bas, qu’il est impossible d’en cueillir une seule feuille, ni étudier sa forme, ses nervures, sa texture et à plus forte raison il est exclu d’observer la reproduction de ces arbres. Il faudrait attendre une bonne tempête.

 

Platanes de « plein vent » à l’Île aux Sports au mois de mars

J’ai donc décidé de vous montrer mes platanes préférés de « plein vent » qui se trouvent sur l’Île aux Sports au bord de Huisne, des arbres bien plus vieux que ceux au square. J’ai choisi de les photographier sans feuilles au printemps pour prouver qu’un platane sans ou peu d’élagage peut prendre des formes très biscornues, tordues, même agressives, le contraire des arbres lisses au square Robert Triger. Ici ils sont intégrés dans la nature sauvage : des lierres montent sur leurs troncs, des arbustes poussent au milieu de leurs basses branches, les ramures tombent presque jusqu’à terre. Je peux communiquer avec un tel arbre, je peux le toucher, observer les phases de sa renaissance au printemps. Commençons par la floraison au printemps.

 

Rameaux fleuris du platane

Les inflorescences sont des petites boules, les femelles de couleur rouge se trouvent au sommet du rameau. Les petites sphères vertes, beaucoup plus nombreuses sont les mâles. J’avais emporté un rameau avec des sphères mâles et femelles et l’avais posé sur une petite assiette. Au bout de deux jours l’assiette était remplie de pollens jaunes et je sentais une vague irritation à la gorge, signalant qu’il fallait s’en débarrasser, car ce pollen est allergisant. La nature produit une abondance de pollens pour être sûre que les fleurs femelles soient fertilisées. Les sphères mâles sont composées de nombreuses fleurs avec étamines et les sphères femelles portent des fleurs rudimentaires avec des styles recourbés donnant cette couleur rouge. Les premières feuilles sortent en même temps.

Fruit et feuille du platane   

Trois mois après l’observation de la fertilisation, les petits fruits, aussi en forme de boule et attachés à un long pédoncule, n’ont pas encore beaucoup grandi. Sur ma photo vous voyez un fruit à maturité que j’ai trouvé sous l’arbre au mois d’avril. D’ailleurs les fruits restent souvent pendant tout l’hiver sur l’arbre, ce qui est du plus bel effet. Puis la boule se désagrège en de multiples akènes, chacun avec une seule graine. Ils sont attachés à des poils roux que le vent emporte.

La feuille du platane nous surprend par la ressemblance avec celle de l’érable plane ; d’où le nom platanus acerifolia. Les feuilles du platane  sont cependant  implantées en alternance sur les rameaux et non opposées comme celles des érables. Les nervures de la face inférieure sont très saillantes chez les deux espèces. Dans les deux cas les feuilles sont également découpées en lobes pointus. Mais la base de la feuille du platane est presque une ligne droite ou une faible courbe sans aucune pointe tandis que l’érable plane présente encore plusieurs pointes  à la base. Les feuilles de platane peuvent être bien plus grandes que l’exemplaire photographié. De toute manière il y a suffisamment d’autres manières de distinguer les deux arbres, car ni l’écorce, ni la floraison, ni encore la fructification  ne se ressemblent.

 

L’arbre de la rencontre 

J’ai déjà mentionné un nom botanique du platane décrit : platanus acerifolia, mais on le nomme aussi   platanus vulgaris,  platane commun, ce qui est assez étonnant pour un hybride. En effet, cet arbre vigoureux est issu de platanus orientalis et de platanus occidentalis, deux des 6 espèces de platanes qui sont connus dans le monde. Le premier est européen, il est décrit dans les textes  de l’ancienne Grèce. L’île de Kos abrite toujours le temple d’Esculape et le platane sous lequel Hippocrate prononça pour la première fois le serment des médecins. Cet arbre était  déjà connu partout dans le Sud de l’Europe avant les Romains. Les analyses de pollens anciens le confirment. En 1640 les explorateurs, chercheurs de plantes, introduisirent le platane d’Amérique du Nord en Europe. Vers la fin du 17° siècle des croisements spontanés  entre ces deux espèces eurent lieu, en Espagne et en Angleterre et certainement encore ailleurs ; mais ce sont ces deux pays qui se disputent jusqu’à aujourd’hui la création de cet hybride. Pour d’autres il s’agit tout simplement de l’arbre de la rencontre entre l’Orient et l’Occident. Et les botanistes tiennent bon,  il n’est ni London Plane, ni platane d’Espagne, tout simplement platane commun ou à feuilles d’érable.

Dans les siècles suivants, cet arbre a connu un véritable triomphe à cause de sa solidité, sa hauteur,  sa possibilité de renaître après des élagages sévères, à cause de son port très large pour offrir de l’ombre, sa résistance à la pollution des villes,  à la poussière,  aux gaz, aux hautes températures. Certes, son espérance  de vie est limitée à 100 ans en ville, mais c’est plus que pour bien d’autres arbres.

 

Les trois platanes au Square Robert Triger

Revenons au Square Robert Triger avec ses trois magnifiques platanes. Entre-temps, j’ai étudié la Charte de l’Arbre (Le Plan Canopée) que  les responsables de la Nature en Ville ont élaborée et mise à notre disposition lors de conférences et de discussions organisées au mois de juin 2024 pour le grand public.  Ces rencontres ont été un moment très fort pour nous rassurer sur la richesse de nos arbres en ville, ainsi que  sur leur gestion sérieuse. Concernant les platanes,  j’ai pu apprendre deux choses : que premièrement dans » la palette végétale des arbres » au Mans nous ne trouvons que 4% de platanes ; que deuxièmement les 4 platanes décrits dans cette chronique  se trouvent tous sur « la carte des arbres classés au plan local d’urbanisme intercommunal «. J’étais heureuse de les retrouver en si bonne compagnie, car on s’attache à ce qu’on regarde de près. Le Mans se félicite d’avoir une très grande variété d’arbres, aucune dominance inquiétante de certaines espèces, ce qui pourrait éviter de perdre trop d’arbres d’un seul coup par des maladies, des parasites ou le changement climatique. Encore mercredi 5 juillet 2024, « La Croix » publia un grand article  sur le malheur qui touche le Sud de la France, intitulé : « Quand l’ombre des platanes vient à manquer «. L’article retrace l’attaque des platanes par le chancre coloré, un champignon parasite.  Des milliers de platane sont abattus tous les ans dans le Sud, à Marseille, en Avignon, le long du canal du Midi où leurs couronnes faisaient une voûte au-dessus de l’eau et renforçaient les berges. Un patrimoine disparaît en quelques décennies et personne ne peut le sauver. Depuis quelques années le fléau s’étend en Île de France et même Nantes connait les premiers cas. Seule une rigueur extraordinaire dans la surveillance et dans le travail d’abattage pourrait éviter le pire. Nous ne pouvons qu’espérer que nos platanes manceaux  en seront épargnés.

 

SOLUTION DE LA DEVINETTE 58

Au jardin de Gourdaine, les petites fleurs qui se propageaient par-ci et par-là  au printemps sont les anémones des bois (anemone nemorosa).

 

DEVINETTE 59

Nous cherchons le nom de cette vivace jaune que vous pouvez admirer en ce moment près du portillon de la rue Robert Triger.

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